Construire des projets de théâtre en classe


CR du stage du samedi 21 janvier 2018 (34 inscrits, dont près de la moitié pour la première fois)

Un rapide (?) tour de table a permis à chacun de présenter brièvement son projet et d'évoquer quelques difficultés rencontrées.

Le jeu des prénoms
Cet exercice préliminaire permet de faire connaissance et d'effectuer un premier travail de mémorisation. D'abord, chacun dit le prénom à son voisin qui répète ce prénom et dit le siens au suivant. Ensuite il ajoute le prénom du suivant, puis les trois prénoms suivants puis il essaie d'aller le plus loin possible.

La mémorisation du texte
Ce petit exercice montre que tout le monde finit par s'approprier un maximum de prénoms. Sur ce modèle, le joueur pourra, au cours de nombreuses répétitions, mémoriser du texte. Il faut lui faire confiance, mais aussi limiter le texte à apprendre, ne pas surcharger le joueur de texte. Chaque joueur ne doit pas avoir plus d'une ligne à apprendre ou une phrase à la fois qu'il doit faire entendre correctement. Comme pour les prénoms, les autres joueurs peuvent s'approprier les phrases des autres et donc pouvoir les remplacer facilement si nécessaire. Le temps étant limité, il est impossible de les surcharger en texte.

Réduction
Pour ce faire, il faut réduire le texte de l'album ou de la pièce à l'essentiel et le répartir au mieux entre les joueurs. On démultipliera donc le personnage principal (celui qui a le plus de texte !) selon deux principes : le chœur (le personnage étant représenté par un groupe de joueurs qui se partage le texte) ou le relais (le personnage étant joué successivement par les joueurs). Dans ce cas, il sera distingué par un élément de costume (bonnet, écharpe…)
Le responsable doit en amont réduire le texte. Les lignes-répliques sont numérotées. Un texte de 120 lignes joué par 30 élèves, cela donnera environ 4 lignes par élèves. Il sera facile et rapide de se repérer  : "Tu dis la phrase 35 !". Sinon le texte devient dévoreur du jeu ! Ce n'est plus du théâtre, c'est de la récitation en costume, dirait Mnouchkine !

Découpage en séquences
La pièce raconte une histoire. Il faut d'abord découper cette histoire en séquences et identifier ces séquences par un titre (exemple : 1- La princesse est malade 2- La reine se lamente 3- Les docteurs à son chevet…). Les tires des séquences sont inscrits sur une affiche. Les élèves repèrent ainsi ce qu'ils travaillent à chaque séance. On commencera par un court récit de la séquence qui sera mise en jeu par chacun des groupes. Le jeu permettra d'explorer le texte, il sera un outil de compréhension. On confrontera les propositions des groupes, on se mettra d'accord ensuite, on interprétera.

Faire du théâtre, c'est jouer dans un espace
Il existe plusieurs types de jeu : de compétition, de hasard, de vertige… Au théâtre, on joue à être un autre et notre but c'est de le faire croire au spectateur. On joue pour intéresser et divertir, faire peur, rire, pleurer, émerveiller…
On retrouve toutes les caractéristiques du jeu et d'abord la limitation du terrain de jeu (avec du ruban adhésif, de la craie…). Cette  limite dans laquelle s'inscrit le jeu marque l'espace à l'intérieur duquel on est un autre (on ne s'appelle plus par son prénom !), on a une autre identité. Ce premier outil est indispensable, c'est l'espace où l'on fait semblant, l' space du jeu maîtrisé.

Un travail de groupe
Le travail de groupe protège. Il n'est pas facile de se présenter devant un public qui vous regarde. Aussi pour ne pas mettre les joueurs en danger, on ne les fera jamais passer seuls sur le plateau, surtout quand on commence. Les groupes sont formés par tirage au sort, cela gagne du temps, évite les rejets, renouvelle et brasse les groupes à chaque travail. De même l'ordre de passage des groupes sur le plateau est tiré au sort.
Pour faire passer tout le monde, on minute les temps de jeu, une minute, cela suffit. Une grande rotation permet de diminuer l'attente des autres, de créer une plus grande intensité de jeu et donc de susciter davantage l'intérêt des spectateurs.
Un "cercle de parole" commence chaque atelier, on y présente les objectifs de la séance, et le clôt également. Chacun pouvant prendre la parole pour dire son ressenti, ses difficultés ou ses réussites.

Elèves joueurs, élèves spectateurs
Après le passage sur le plateau, il faut être attentif à ce que le joueur ne se s'auto dévalorise pas ! Le groupe peut simplement dire s'il est parvenu ou non à faire ce qu'il avait prévu. Puis il attend le retour des élèves spectateurs pour savoir s'ils ont compris la scène et ce qui ne leur semble pas clair. Les spectateurs ont écouté avec respect leurs camarades, pas de remarques pendant le jeu. On garde une certaine réserve, pas d'applaudissements (on porterait alors un jugement de valeur !)
Et la distribution des rôles ? Dans les conservatoires, on a la tête de l'emploi : on est attitré au rôle de servante ou de jeune premier ! A l'école, tout le monde a le droit et le devoir de tout essayer. En effet, on ne peut pas savoir si on peut jouer un rôle avant de s'y être confronté. Si on a des problèmes de temps, qu'on offre au moins la possibilité d'essayer à ceux qui veulent. Mais il ne faut surtout pas imposer les rôles. On peut demander aux élèves de remplir des fiches de préférences. A la limite, si on n'a vraiment pas de temps, tous les rôles seront tirés au sort.

La durée des représentations
Plutôt que le terme "représentation", Bernard Grosjean utilise le temps de jeu maîtrisé. La maîtrise du jeu sur scène est plus importante que la durée du "spectacle" où l'on risque de mettre les jeunes en difficultés sinon. Une règle mathématique simple : une minute de jeu exige une heure de travail. Ainsi si l'on ne dispose que de quinze heures de répétitions, il faut prévoir quinze minutes de représentation. Il vaut mieux jouer un court spectacle plusieurs fois, c'est plus éducatif.

Après avoir énoncé ces quelques règles, Bernard propose une mise en jeu pour présenter quelques grands principes fondamentaux du théâtre avec une classe d'élèves débutants.

1- Le point fixe ou "sans rien faire je suis intéressant !"
L'objectif est d'abord d'exister sous le regard des autres. Cinq joueurs sont alignés de dos en fond de scène. Ils se retournent face public, sans le regarder précisément mais recherchant un point d'accroche. Insister sur la position du corps, les pieds bien plantés dans le sol, bras le long du corps. Il suffit alors de mettre une musique, (par exemple hymne olympique, chœurs de l'armée rouge, classique pompes et circonstances…) et donner une simple consigne "vous êtes les meilleurs, des géants !…" on obtient alors une image fixe qui peut être le début d'une scène. L'immobilité crée l'intensité.

2- Le secret
Le "secret" est un point connu des joueurs seuls (pas du public). En général un élément affiché dans le fond de la salle au-dessus des spectateurs. Et tous les joueurs regardent ce même point. Cela évite de chercher la maîtresse dans les coulisses ! Cela permet de diriger vite le groupe : "regard secret !" et facilite une ouverture vers le public. Et quand un élève est "perdu" sur scène, il peut toujours ainsi se donner une contenance. Enfin ces regards fixés sur un même point favorise le système du chœur qui va réagir collectivement à ce qu'il est censé voir au niveau du secret.
Quatre groupes sont passés successivement sur le plateau. Regroupés en tas au centre, ils réagissent à la consigne : peur et cri ou bien "vous vivez un grand roman d'amour" ou réaction de colère… cela sur une musique en accord avec l'émotion. Le regard se fixe sur le secret puis les joueurs s'échangent des regards pour partager et accentuer l'émotion.
"En chœur, ça donne du cœur à l'ouvrage !", ça fortifie, ça alimente le groupe.

3- Donner une forme une forme au chœur
La représentation première du chœur c'est un groupe au centre de la scène. Mais il peut prendre de multiples formes. La consigne donnée à chaque groupe était de choisir des dispositions plus ou moins géométriques, chaque joueur devait mémoriser son emplacement dans chaque figure (comme des pions sur un jeu d'échec). On enchaîne alros les trois figures. Dans un premier temps, on ne se soucie pas des transitions, l'important est d'avoir des certitudes sur ses positions. Produire un jeu maîtrisé, c'est avoir des certitudes sur le plateau.

4- Apparaître / disparaître
L'entrée ou la sortie de scène est un moment important. On peut sortir des coulisses mais on peut aussi avoir une sortie verticale par derrière une table ou des tissus tendus. On peu utiliser par exemple des couvertures de survie pour faire des coulisses, on peut même les faire sortir de la poche des joueurs !
Cet exercice prolonge le précédent sur les figures géométriques. Les joueurs effectuent une entrée croisée, les uns venant de la droite, les autres de la gauche (musique), ils prennent les places prévues sur le plateau puis passent de la figure 1 à la figure 2 en agrandissant les déplacements. Pour sortir, le numéro 1 entraîne tout le monde à sa suite. Juste avant de sortir, chacun marque un temps d'arrêt et jette un regard au secret, cela pour éviter d'arrêter de jouer avant d'être complètement sorti de scène ! Une tonalité est donnée aux scènes : tragique par exemple ou cabaret… Chacun est occupé sur scène, sait précisément ce qu'il doit y faire.

5- Théâtre image
Les joueurs sont répartis en binômes. A tour de rôle chacun sculpte son partenaire qui doit mémoriser la position. Pour les consignes, on peut puiser dans son projet. Huit joueurs sont présents sur le plateau, de dos. Lorsque la musique démarre, chacun se retourne face public et retrouve sa statue. Ensuite un spectateur est invité à regrouper les différentes statues pour en faire une image significative. Cette image peut être le point de départ de la séquence du jour.

Ces principes de jeu ont ensuite été mis en œuvre à partir du projet de mise en scène de l'album "La princesse est malade" de Eric Dauzon.

Le texte a été divisé en séquences et chacune titrée comme il a été prescrit précédemment. On a partagé "la classe" en quatre groupes qui vont travailler en parallèle et proposer leur vision de chaque séquence.
1- "La princesse est malade"
Consigne : faire l'image de ce qui vient d'être lu : "On s'affole parce qu'on découvre que la jeune princesse est malade." Où sommes-nous ? au Palais. L'événement : la nouvelle crée un vent de panique. Il s'agit de construire une image fixe qu'on fera ensuite vivre pendant trente secondes d'impro. Temps de préparation : deux minutes !
L'installation des tableaux se fait à vue. Cela rassure les joueurs, les met en activité et c'est aussi un grand plaisir pour les spectateurs.
On regarde  les quatre propositions différentes, on en discute, on décide de ce qu'on garde ou de ce qu'on rejoue et améliore. Tout le monde aura essayé.
2- "La reine se lamente"
"Tout était parfait. Alors pourquoi ? Le roi, la reine et tout le palais se désolent."
Un chœur propose les lamentations du roi et de la reine, deux autres décrivent ou expliquent plutôt l'environnement.
3- "Les docteurs au chevet de la  princesse"
On a encore diverses propositions : le chevet de la princesse et l'arrivée du chœur des médecins, ou bien l'annonce du diagnostic "Du poison !" et les réactions du chœur des courtisans. Plutôt que d'avoir un tableau qui illustre le texte, il est toujours préférable de mettre les corps en action et d'amplifier les gestes, belles images des turbans des femmes de ménage (voir photos). Les élèves puisent dans leur seul imaginaire ou bien on peut les aider en leur apportant des inducteurs possibles comme des tissus…)

Un temps d'échange
Quand présenter l'album ? On peut inverser la démarche habituelle. Le théâtre sert alors de lecture de découverte. On induit des thèmes, des images pour jouer en lien avec l'histoire qu'on lira ensuite. On ne prend pas le risque de s'enfermer trop tôt dans une forme.
Que faire de ceux qui ne jouent pas la scène ? Difficiles à surveiller en coulisse, il vaut mieux les garder sur scène (sur les côtés) en leur confiant une action. Ils peuvent par exemple appuyer le jeu par des bruitages collectifs ou en exprimant collectivement un mouvement ou un cri de peur…
Mais les petits ont un temps d'attention limité ? Il faut donc réduire les tâches et les temps de préparation. Imposer un temps de préparation met une petite pression.
Et les réticents, ceux qui refusent ? On leur propose de s'intégrer à un groupe de jeu. Et si le groupe ne présente rien, il doit au moins venir expliquer pourquoi.
Et s'ils n'ont pas d'idées pour les sculptures ? On peut alors leur apporter des images (photos, peintures…), leur proposer une musique, des éléments de costumes pour les nourrir.

Créer une bande annonce
A l'opposé de la situation précédente où tous les groupes travaillaient sur la même situation, cette fois, chaque groupe a un sujet différent. Chacun doit présenter sous forme de bande annonce, comme au cinéma, un projet. Il doit donner au spectateur envie d'aller voir le spectacle. Quatre projets de stagiaires sont donc proposés. On prépare, on montre et ensuite on en parle. On dit ce qu'on a compris, ce qu'on a aimé.
1- Les petits chaperons et les loups
Le conte était très lisible. On voit les personnages. On a aimé l'usage de la peau de bête pour typer un personnage. Le chœur risque toujours d'être un peu informe, il importe donc de bien le caractériser si celui-ci doit présenter un personnage.
2- La légende du colibri
Les animaux sont présentés sous forme de marionnettes, taches de couleur derrière une table recouverte de tissu noir. Question : les humains jouent les animaux ou racontent seulement les animaux formés avec la main et le bras ?
3- Le loup est revenu
Présentation qui a utilisé la langue des signes. L'immobilité et le silence mettent en évidence le mouvement. Mais la langue des signes dirige le regard du spectateur, il faudrait répartir ces acteurs dans des lieux différents et variés. Un conseil : regarder sur Youtube la représentation des trois sœurs en langue des signes.
4- La manif
On a aimé l'occupation de l'espace et les effets de rupture. Il a été proposé de transposer l'histoire pour que l'élève ne joue pas son propre rôle, qu'il soit un autre. C'est le principe du théâtre. On peut transposer dans un autre temps ou lieu en utilisant des costumes : la communale de 1930, uniforme, blouse ? On peut débuter par une photo de classe… On peut aussi reprendre les personnages du Petit Nicolas, les dessins de Sempé pour les manifs…

Cercle de parole final
Un temps d'échange a lieu autour du projet sur le Suricate qui voyage et envoie des cartes postales. Problème comment faire les cartes postales ? Repérer les indications  et construire des images et références aux cartes postales animées.
Tous les projets n'ayant pu être abordés, Bernard voit individuellement les stagiaires pour répondre à leurs questions et leur faire quelques propositions, mais à l'écart du secrétaire de séance !
Bonne poursuite de vos projets à tous, on a hâte de voir les résultats aux printemps !
Marcel Le Bihan